Zale, entre Iran et Irak.

Février et juin 2018

Les oubliés de la montagne.

Village de Zale, Kurdistan, frontière Irak-Iran, février et juin 2017.

Merci à Renas et Saber pour leur aide indispensable et leur générosité.


Autrefois connu pour être le refuge des peshmergas kurdes qui luttaient contre le régime de Saddam Hussein, le village de Zale, perché dans les montagnes à la frontière entre Iran et Irak, a été depuis oublié des hommes politiques qui s'y abritèrent et dirigent à présent cette partie de la région autonome du Kurdistan, au nord de l'Irak. Aujourd'hui, la vie du village comme celles de dizaines d'autres tout le long de la frontière montagneuse séparant les zones kurdes d'Iran de celles d'Irak tourne autour du transport de marchandises, de l'Irak vers l'Iran.

Tous les jours, des premières lueurs du jour jusque tard dans la nuit, le village est le théâtre d'un étrange ballet de camions et de caravanes de mûles, qui se croisent sur l'unique route non goudronnées. Achetées par des businessmen iraniens, ces marchandises sont acheminées jusque dans la ville de Sulaymaniyeh, puis transférées par camion à Zale, pour être ensuite emmenées en Iran à travers la montagne à dos de mûle.

Des deux côtés de la frontière, seule cette activité permet aux habitants de survivre sans devoir émigrer vers les grandes villes. Côté iranien, le régime a bridé le développement économique des régions pour mieux les contrôler, et le chômage y est endémique. Côté irakien, la création du gouvernement régional du Kurdistan, entité autonome au sein de l'état irakien, bien que garantissant une certaine liberté pour ses habitants n'a pas amené la prospérité pour tous. La région est rongée par une crise économique aggravée par la corruption des dirigeants politiques qui contrôlent l'argent du pétrole.

Dans cette zone montagneuse et isolée, la frontière n'a guère d'autre sens que celui que lui donnent les tours de guet et les hommes en armes qui la garde d'un côté comme de l'autre. Dans les petits villages qui se font face, séparés par cette ligne artificielle, on parle la même langue, le kurde Sorani, et on appartient aux mêmes familles. Les mariages transfrontaliers sont courants. A Zale, côté irakien, les habitants se chargent du déchargement et du stockage des marchandises. Le travail le plus dur est assuré par les habitants du côté iranien, qui viennent chercher les marchandises.

Leur tâche n'est pas seulement difficile, elle est aussi dangereuse. Il faut travailler en toute saison, dans le froid glacial ou sous une chaleur accablante. Les pistes empruntées sont tortueuses, à flanc de montagne, enneigées l'hiver. Une chute peut vite être mortelle, chaque bête portant un chargement d'environ 150 kg. Aux dangers de la montagne s'ajoute la répression du régime iranien. Si certains transporteurs disposent d'un certificat de travail, celui n'autorise qu'un voyage par semaine, qui rapporte environ 22$. Pas assez pour gagner de quoi nourrir une famille. Alors les transporteurs reviennent illégalement, de nuit, par des chemins contournant les tours de gardes qui hérissent la montagne. Régulièrement ils sont pris pour cible par les gardes frontières iraniens, ou sautent sur des mines enfouies dans le sol depuis la guerre Iran-Irak. Les victimes se comptent par centaines, et chaque mois un nouveau s'ajoute à la liste macabre. Harcelés de tous côtés, devant subir des conditions de travail précaires faute de mieux, les travailleurs de la montagne ne peuvent compter sur l'aide de personne. Côté iranien, les familles sont découragées par les autorités de porter plainte en cas de meurtre d'un des leurs. Si parfois l'affaire fait la une des journaux, quand par exemple un comédien célèbre s'indigne de la mort d'un jeune kolbar, l'affaire est bien vite étouffée. Quant à la communauté internationale, Ahmad Shaheed, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des Droits de l’Homme en Iran, n'a mentionné qu'une seule fois en 2011 la situation des kolbars dans son rapport annuel. Les morts continuent, et seule la montagne entend l'écho de leurs cris.

MAJ MARS 2019

Le village autrefois fourmillant d'agitation, entre kolbars, chevaux, piles de marchandises devant les entrepôts, est aujourd’hui d’un calme de plomb. La route est déserte, le calme troublé seulement par les cris d’oiseaux et des enfants qui jouent au ballon. Les marchandises attendent dans les entrepôts l'ouverture de la frontière, fermée en guise de sanction après le référendum de 2017 sur l'indépendance du Kurdistan.
Les habitants du village sont au chômage économique, ils attendent désoeuvrés un éventuel travail. Les seuls à franchir la frontière sont maintenant des voyageurs, qui préfèrent passer clandestinement soit faute de passeport en règle, soit pour ne pas payer de taxe d’entrée. Quelques kolbars viennent encore de nuit, mais leur voyage est à haut risque, et les marchandises qu’ils transportent doit valoir le prix du danger. Impossible alors de les approcher.


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