Les exilés de Gezeret Fadel

juillet 2013

1948, Nakba. Comme des milliers d'autres familles palestiniennes, les bédouins de Bir al Seba (Beersheba), proche de la frontière égyptienne, fuient les persécutions des milices sionistes en abandonnant toutes leurs possessions. Après de longs jours de marche, ils finissent par trouver au milieu des terres cultivées du delta du Nil une zone de terre aride, qu'ils décident d'occuper. Le lieu devient ainsi « l'île Fadel », du nom de la famille à la tête de la communauté.

Aujourd'hui, Gezeret Fadel compte environ 3000 à 4000 habitants. C'est petit village rural perdu au milieu des champs du delta du Nil, à environ 300km au nord est du Caire, dans la province de Sharquiya.

La situation des exilés ne devait être que temporaire. Elle dure encore aujourd'hui. Les habitants ont entouré leur village d'une haute enceinte de murs de boue, pour le séparer des parcelles agricoles voisines. Aux propriétaires égyptiens de la terre, ils dirent qu'ils allaient leur laisser leurs maisons quand ils partiraient, ou acheter la terre. Ils ont fini par l'acheter, avant d'être obligé de la revendre pour une bouchée de pain quand le président Sadat a supprimé tous les droits accordés aux Palestiniens par son prédécesseur Nasser.

Pendant longtemps, les habitants ont vécu en vase clos, se mariant entre eux sans se mélanger à la population locale. Mais peu à peu, certains ont fini par prendre des Egyptiennes comme épouses, si bien qu'aujourd'hui au village, certains enfants ont la nationalité égyptienne. Les autres habitants n'ont aucun statut officiel. L'état égyptien leur octroie un document attestant de leur statut de réfugié, qui doit être renouvelé tous les ans mais ne les autorise pas à voyager, sauf pour le pèlerinage de la Mecque. En tant que non Egyptiens, ils n'ont accès ni aux aides de l'état ni à la gratuité des services publics. Le faible taux de scolarisation des enfants en est une conséquence : les frais de scolarité sont beaucoup trop élevés pour qu'une famille puisse y envoyer ses enfants si ils n'ont pas la nationalité égyptienne.

Très jeunes, ils commencent à travailler avec leurs parents. Les emplois sont précaires. Il y a bien quelques commerces dans le village, mais la plupart des habitants travaillent dans les champs, ou sur des chantiers. L'activité principale au sein du village est le tri des ordures. Les sacs de déchets, récoltés dans les villages environnants, s'empilent partout dans les rues, jusque sur les toits. Les femmes cuisinent au milieu, les enfants, pieds nus, y jouent et y travaillent. Les fumées toxiques du plastique brûlé qui arrachent les poumons des visiteurs les font à peine cligner des yeux. Plusieurs d'entre eux présentent de manière apparente des problèmes de peau. Mais il n'y pas de structure médicale dans le village, il faut aller à l'hôpital de la ville voisine pour se faire soigner – si on peut payer les soins.
Pendant longtemps, la situation du village est restée quasi-inconnue. Des activistes ont décidé de sortir de l'ombre l'histoire des habitants à l'occasion des commémorations de la Nakba en 2013. Depuis quelques années, l'ambassade palestinienne au Caire a décidé de leur octroyer des aides.

Si les anciens affirment encore fermement leur droit au retour, de même que les dirigeants du village, chez les habitants la Palestine est devenu quelque chose de lointain, partie intégrante de leur passé mais plus forcément de leur futur. Les enfants connaissent mal la culture palestinienne, malgré les efforts désespérés de l'unique instituteur du village pour la faire vivre. Dans tout le village, un seul drapeau palestinien flotte sur les toits. Les murs sont vierges de toute inscription politique, de tout symbole national.

L'exil a fini par voler à ces familles chassées de leur terre leur propre culture.