Les Assyriens d'Al Qosh

Nord de l'Irak, juillet 2015

Le soleil brûlant de juillet écrase les rues d'Al Qosh, qui prend des allures de village fantôme sous le cagnard. Les quelques habitants à se risquer dehors rasent les murs en quête d'ombre. Devant le village adossé à la montagne s'étendent à perte de vue les plaines de Niniveh, vaste étendue de terres fertiles brûlées par le soleil d'été dont la jaune paille contraste avec le bleu du ciel et celui du fleuve Tigre qui les borde à l'ouest et que l'on voit miroiter quelques kilomètres au loin. Les premières traces d'existence à Al Qosh remontent à l'empire assyrien, 750 ans av. JC. Aujourd’hui, le village est encore entièrement peuplé par des chrétiens assyriens. C'est d'ailleurs un lieu de pèlerinage important pour les chrétiens d'Orient, grâce au monastère Saint Hormizd perché à flanc de montagne.
Mais situé à moins de 50 km de Mossul, Al Qosh est aujourd'hui en première ligne face aux jihadistes de l'état islamique qui ont pris le contrôle d'une partie de la région lors d'une offensive lancée à l'été 2014. Les habitants avaient dû fuir le village en catastrophe. Mais mille deux familles sont retournées y vivre une fois le danger immédiat passé. Malgré la crainte constante d'une nouvelle attaque des jihadistes, elles refusent de le quitter et préfèrent vivre chez eux que rejoindre les réfugiés survivant des conditions précaires dans les rues ou les structures paroissiales des villes de la région autonome du Kurdistan irakien, Dohuk, Suleymaniyeh ou Erbil. Quelques cinq cents réfugiés de Mossul ou d'autres villages tombés sous le contrôle de daesh habitent également une école reconvertie en refuge. Elles ne peuvent que compter sur la charité et l'aide de quelques organisations humanitaires pour survivre. Habib Hanna, responsable de l'ADM à Al Qosh, déplore que malgré la visite de dizaines de délégations, aucune aide directe ne soit parvenue au village.

Aram*, lui, a fait le chemin inverse en revenant d'Allemagne mi-septembre 2014 pour défendre ce qu'il estime être une terre appartenant aux Assyriens. Il a rejoint les unités de protection de la plaine de Nineveh (NPU), crée en juin 2014, branche armée du mouvement démocratique assyrien (ADM), parti politique autrefois clandestin sous le régime de Saddam Hussein et l'ayant combattu avec le soutien des USA.
Aram est amer. Les NPU n'ont pas obtenu l'aval des peshmergas kurdes pour former une force indépendante. Le gouvernement du Kurdistan irakien, pourtant à la limite de sa zone de contrôle d'avant la guerre, exige que tous les groupes voulant se battre se placent sous le commandement de ses forces. Une autre milice chrétienne, Dwekh Nawsha, affiliée au parti patriotique assyrien, a elle choisi de collaborer avec le KRG (gouvernement régional du Kurdistan) et de se battre sous commandement des forces kurdes. Rejointe par plusieurs volontaires étrangers venus d'Europe, d'Australie ou des US, elle est mieux équipée et plus médiatisée. Les NPU, quant à elles, disposent de 575 combattants ayant reçu un entraînement militaire basique dispensés par des entraîneurs américains. Pour le moment, ils rongent leur frein dans les locaux du parti ou dans les villages où ils sont présents. Les peshmergas ont fermé l'unique camp qu'ils possédaient. Ils tentent néanmoins d'organiser la protection des villages les plus proches de la ligne de front, avec un équipement sommaire, récolté grâce aux dons de la diaspora à l'étranger. Ils doivent se déplacer sur leurs fonds propres pour venir assurer leurs gardes, comme au village de Sharafia, à dix kilomètres de la ligne de front, où les volontaires prennent position à la tombée du jour. Ils ne se font pas d'illusion sur leur force actuelle, et sont conscients qu'en cas d'attaque, ils pourraient tout au plus freiner la progression des jihadistes. Mais ils sont déterminés à résister assez longtemps pour permettre aux habitants de s'enfuir si jamais daesh venait à attaquer.
Pour Athra, prêter allégeance aux autorités kurdes était hors de question. A l'instar de son parti, il considère que l'heure est venue pour les Assyriens, toutes tendances confondues (syriaques, chaldéens) d'être reconnus comme un groupe ethnique à part entière. Au delà de l'aspect religieux, cette revendication est appuyée par la longue histoire de l'empire assyrien, et par l'existence d'une culture et d'une langue commune (dérivée de l'araméen). Farid Yahcoub, directeur de la branche de Dohuk de l'ADM explique que son parti demande à la création d'une région autonome dans les plaines de Niniveh, qui serait administrée par les chrétiens et les Ezidis, l'autre grande minorité peuplant cette zone. Même ils ont actuellement quatre députés au sein du parlement du KRG, ils soutiennent un projet d'Irak fédéral, découpé en entités disposant d'une grande marge d'autonomie. Dans le chaos actuel, ces revendications rencontrent de plus en plus d'échos.
Athra estime que l'administration kurde ne se soucie pas vraiment du sort des chrétiens. « Quand daesh a lancé son attaque sur la région, nous avions peur de voir les jihadistes débarquer. Une nuit, nous avons aperçu au loin, sur la route qui menait au village, les phares d'une colonne de véhicules. Nous avions peur que ce soient les jihadistes. Mais c'était une colonne de peshmergas. Leur commandant nous a dit qu'ils rentraient chez eux après avoir été relevés. Mais un des peshmergas, chrétien, nous a dit de partir vite sans nous retourner. En fait, les peshmergas fuyaient devant l'avancée de daesh. Mon frère a tiré des coups de feu en l'air pour réveiller le village, et les habitants ont fui, laissant en plan tout ce qu'ils avaient. Seule une poignée d'hommes est restée pour tenter de ralentir l'avancée des jihadistes avec quelques AK47. » Finalement, les jihadistes n'atteindront pas le village et s'arrêteront à quelques dizaines de kilomètres. Mais pour Athra, le gouvernement kurde préfère voir les chrétiens s'en aller – ou disparaître - plutôt que de les défendre, afin de pouvoir étendre davantage son contrôle sur la région. Il va jusqu'à accuser les autorités kurdes de favoriser l'émigration des familles, et de vouloir repeupler les villages chrétiens avec une population kurde. Si le discours paraît extrême, il trouve un écho parmi la communauté chrétienne, même si tous n'osent pas l'exprimer à haute voix. Il est révélateur de la dislocation des liens intercommunautaires qui existaient tant bien que mal auparavant dans cette zone en dehors de l'aire de peuplement majoritaire kurde mais néanmoins aujourd’hui contrôlée par les peshmergas, hors d'atteinte de l'autorité du gouvernement central iraquien. Pour Habib Hanna, cette radicalisation a eu lieu en deux ou trois ans, ce que confirme H., Ezidi qui vivait près de Shengal. A l'instar des Ezidis qui habitent à l'ouest de la région et déclarent ne plus pouvoir vivre avec leurs voisins arabes après les massacres perpétrés par l'état islamique, un certain nombre d'Assyriens peinent à imaginer de nouveau les communautés vivre de nouveau ensemble si une nouvelle répartition du pouvoir n'est pas effectuée.


*: le prénom a été changé