Des poulains et des masques,
Une foire aux chevaux au temps du Covid.
Le marché aux poulains de Plaintel, octobre 2020











































Le crachin tombe dru sur l'ancien terrain de football de Plaintel, près de Saint Brieuc, et le soleil ne parvient pas à percer les nuages d'une aube grise et sale. Comme tous les premiers lundi d'octobre depuis près de deux siècles, c'est le jour de la foire aux chevaux. Des stalles délimitées par des chaines et des poteaux métalliques ont été aménagées pour l'occasion sur le vaste terrain herbeux du Tertre Rohan où elle a déménagé l'année passée, le centre ville n'étant plus en mesure d'accueillir dans les conditions de sécurité requises les près 15 000 visiteurs habituels. Normalement, la foire est un jour de fête à Plaintel. Les élèves n'ont pas école, quelques 300 camelots déballent leurs marchandises, notes de musique et parfum de galettes saucisses flottent dans les rues. Mais aujourd'hui, parapluies et masques sont de sortie. Covid oblige, cette année seul le marché aux chevaux a été conservé, au grand dam des commerçants et des cafetiers du bourg qui voient leur chiffre d'affaire durement impacté. Au micro, l'organisation rappelle régulièrement, parfois fermement, les règles à respecter : port du masque, et sens de circulation - « ne passez pas sous les barrières ! ». Au dernier moment, la préfecture a passé la jauge de l'événement de 5000 à 1500 personnes. Malgré tout celle-ci ne sera pas atteinte, la pluie et l'absence de la fête habituelle auront découragé les foules. Hormis les professionnels, seuls quelques téméraires viennent flâner entre les stalles, admirant les chevaux de traits, les postiers et les poneys shetland. Galettes saucisses et bolées se consomment assis dans l'espace restauration, plus possible de se promener son verre à la main et de trinquer à droite et à gauche.
Au point du jour, les premiers éleveurs arrivent. Les chevaux sont tirés hors des remorques. Les caractères s'affirment. Si certains sont placides, d'autres renâclent, se cabrent, et il faut les tirer à plusieurs jusqu'à leur emplacement où ils sont attachés aux chaînes qui délimitent les stalles. Un éleveur souffle, goguenard : « ah, tout le monde les dresse pas pareil hein ». Ca hennit, ça souffle et ça frappe du sabot. A Plaintel, ce sont principalement des chevaux de traits bretons qui sont exposés. Les arrivées s'échelonneront jusqu'à la fin de la matinée, carrioles à chevaux, remorques tirées par des tracteurs ou camion de transport de bétail. Les éleveurs, venus de toute la Bretagne et dont beaucoup portent des vestes siglées du syndicat du cheval breton, passent entre les bêtes, se saluent. Ils commentent les animaux, parlent des foires annulées, des prix en chute libre. Les acheteurs se promènent, examinent les animaux, interpellent leur propriétaire. Les têtes s'inclinent pour lâcher des prix à voix basse, les négociations sont discrètes. Certains ont déjà vendu avant de venir. Le marché du cheval est morose. Les prix ont dégringolé de moitié par rapport à 2018, un cheval se vend aux alentours de 2€ le kilo, jusqu'à 2,80 pour les meilleures de bêtes, soit aux alentours de 2000€ pour un cheval adulte. A peine de quoi compenser les frais d'élevage, de vaccination, et certainement pas de quoi vivre affirme un éleveur, qui vient à la foire depuis près de 40 ans. D'autant qu'aujourd'hui, chaque bête vendue doit avoir un carnet de vaccination à jour. Vaccins, prises de sang coûtent chers, plusieurs centaines d'euros. Si les jeunes éleveurs adhèrent au principe, « qui évite de faire n'importe quoi ou d'avoir des fraudes » dit l'un d'eux, d'autres râlent contre les normes de l'Etat qui compliquent l'activité.
Le covid a aussi eu un impact collatéral : les acheteurs japonais, qui ces dernières années avaient contribué à faire revivre le marché, ne sont cette fois-ci pas présents. Espagnols et italiens étaient également attendus. Beaucoup des éleveurs présents ont une autre activité pour gagner leur vie, et l'élevage n'est parfois qu'une passion. Si la moyenne d'âge parmi eux est plutôt élevée, entre 50 et 60 ans, et le milieu très masculin, quelques jeunes, dont des jeunes femmes, tentent à leur tour de prendre le relai, tant bien que mal, souvent par passion. Un éleveur du Morbihan, âgé d'une trentaine d'années, confie « l'idéal serait de vendre à des particuliers, qu'ils partent pas à la boucherie ». Ces derniers achètent pour le loisir, l'attelage ou l'élevage. L'usage professionnel, qui était la raison d'être des marchés aux chevaux, est très marginal : un peu de débardage, ou de travail dans les vignes, notamment dans des zones où les engins motorisés n'ont pas accès comme en montagne.
Dans un coin, la gendarmerie a installé un stand d'informations. Régulièrement, le speaker au micro remercie les gendarmes de leur présence. Si les mutilations de chevaux sont bien présentes dans les têtes et inquiètent les éleveurs, l''animateur leur conseille également d'aller prendre contact avec les gendarmes pour connaître leurs droits, par rapport aux bâtiments par exemple. La présence visible de « la blanche » n'est pas sans rappeler que la cellule Demeter1 de la gendarmerie, chargée de surveiller les zones rurales et les mobilisations qui pourraient y naître, garde un œil attentif sur les habitant.es des campagnes et cherche à y tisser un réseau de contacts et d'information serré.
Aujourd'hui, les marchés aux chevaux sont la survivance d'une époque où le cheval avait une importance fondamentale dans les campagnes bretonnes, que ce soit pour les travaux agricoles ou le transport, et ce jusque dans les années 50-60, avant d'être remplacés par les engins mécaniques. Des pardons pour les chevaux étaient même organisés, où les chevaux étaient baignés et placés sous la protection d'un saint pour être protégés des blessures et maladies. Les derniers marchés aux chevaux qui subsistent ont à la fois un rôle social important pour les éleveurs, permettant les rencontres entre eux et avec les acheteurs et la valorisation de leur activité, mais ils ont aussi d'une certaine façon fait du cheval breton un élément patrimonial. En se promenant dans la foule, on entend les récits du père d'untel qui se rendait à l'usine sur son cheval, d'un autre qui labourait son champ avec. Des histoires qui contribuent à garder vivante la mémoire du cheval de trait breton, habitant à part entière des campagnes bretonnes.
1https://reporterre.net/Demeter-la-cellule-de-la-gendarmerie-qui-surveille-les-opposants-a-l-agriculture
Au point du jour, les premiers éleveurs arrivent. Les chevaux sont tirés hors des remorques. Les caractères s'affirment. Si certains sont placides, d'autres renâclent, se cabrent, et il faut les tirer à plusieurs jusqu'à leur emplacement où ils sont attachés aux chaînes qui délimitent les stalles. Un éleveur souffle, goguenard : « ah, tout le monde les dresse pas pareil hein ». Ca hennit, ça souffle et ça frappe du sabot. A Plaintel, ce sont principalement des chevaux de traits bretons qui sont exposés. Les arrivées s'échelonneront jusqu'à la fin de la matinée, carrioles à chevaux, remorques tirées par des tracteurs ou camion de transport de bétail. Les éleveurs, venus de toute la Bretagne et dont beaucoup portent des vestes siglées du syndicat du cheval breton, passent entre les bêtes, se saluent. Ils commentent les animaux, parlent des foires annulées, des prix en chute libre. Les acheteurs se promènent, examinent les animaux, interpellent leur propriétaire. Les têtes s'inclinent pour lâcher des prix à voix basse, les négociations sont discrètes. Certains ont déjà vendu avant de venir. Le marché du cheval est morose. Les prix ont dégringolé de moitié par rapport à 2018, un cheval se vend aux alentours de 2€ le kilo, jusqu'à 2,80 pour les meilleures de bêtes, soit aux alentours de 2000€ pour un cheval adulte. A peine de quoi compenser les frais d'élevage, de vaccination, et certainement pas de quoi vivre affirme un éleveur, qui vient à la foire depuis près de 40 ans. D'autant qu'aujourd'hui, chaque bête vendue doit avoir un carnet de vaccination à jour. Vaccins, prises de sang coûtent chers, plusieurs centaines d'euros. Si les jeunes éleveurs adhèrent au principe, « qui évite de faire n'importe quoi ou d'avoir des fraudes » dit l'un d'eux, d'autres râlent contre les normes de l'Etat qui compliquent l'activité.
Le covid a aussi eu un impact collatéral : les acheteurs japonais, qui ces dernières années avaient contribué à faire revivre le marché, ne sont cette fois-ci pas présents. Espagnols et italiens étaient également attendus. Beaucoup des éleveurs présents ont une autre activité pour gagner leur vie, et l'élevage n'est parfois qu'une passion. Si la moyenne d'âge parmi eux est plutôt élevée, entre 50 et 60 ans, et le milieu très masculin, quelques jeunes, dont des jeunes femmes, tentent à leur tour de prendre le relai, tant bien que mal, souvent par passion. Un éleveur du Morbihan, âgé d'une trentaine d'années, confie « l'idéal serait de vendre à des particuliers, qu'ils partent pas à la boucherie ». Ces derniers achètent pour le loisir, l'attelage ou l'élevage. L'usage professionnel, qui était la raison d'être des marchés aux chevaux, est très marginal : un peu de débardage, ou de travail dans les vignes, notamment dans des zones où les engins motorisés n'ont pas accès comme en montagne.
Dans un coin, la gendarmerie a installé un stand d'informations. Régulièrement, le speaker au micro remercie les gendarmes de leur présence. Si les mutilations de chevaux sont bien présentes dans les têtes et inquiètent les éleveurs, l''animateur leur conseille également d'aller prendre contact avec les gendarmes pour connaître leurs droits, par rapport aux bâtiments par exemple. La présence visible de « la blanche » n'est pas sans rappeler que la cellule Demeter1 de la gendarmerie, chargée de surveiller les zones rurales et les mobilisations qui pourraient y naître, garde un œil attentif sur les habitant.es des campagnes et cherche à y tisser un réseau de contacts et d'information serré.
Aujourd'hui, les marchés aux chevaux sont la survivance d'une époque où le cheval avait une importance fondamentale dans les campagnes bretonnes, que ce soit pour les travaux agricoles ou le transport, et ce jusque dans les années 50-60, avant d'être remplacés par les engins mécaniques. Des pardons pour les chevaux étaient même organisés, où les chevaux étaient baignés et placés sous la protection d'un saint pour être protégés des blessures et maladies. Les derniers marchés aux chevaux qui subsistent ont à la fois un rôle social important pour les éleveurs, permettant les rencontres entre eux et avec les acheteurs et la valorisation de leur activité, mais ils ont aussi d'une certaine façon fait du cheval breton un élément patrimonial. En se promenant dans la foule, on entend les récits du père d'untel qui se rendait à l'usine sur son cheval, d'un autre qui labourait son champ avec. Des histoires qui contribuent à garder vivante la mémoire du cheval de trait breton, habitant à part entière des campagnes bretonnes.
1https://reporterre.net/Demeter-la-cellule-de-la-gendarmerie-qui-surveille-les-opposants-a-l-agriculture